[Philosophie] Exister, est-ce profiter de l'instant présent ?

« L’espoir d’une meilleure existence future, nous console de la présente. ».

François-Rodolphe Weiss.

 

 

 

Par cette citation, François-Rodolphe Weiss soulève une question primordiale dans l’existence de l’Homme. Peut-on trouver la plénitude, en étant que dans le présent ? Cette interrogation, qui renvoie au concept d’existence ; le fait d’être là, de constituer un être, se joint à celle du temps, le vécu dans la temporalité d’un individu au sein de sa contingence. Mais qu’entend-t-on spécifiquement par « instant présent » ? Ce concept, présent dès l’antiquité grecque par la philosophie d’Epicure, renie les inquiétudes de l’avenir, et le regret du passé, et se concentre sur la pleine conscience ainsi que l’acceptation de ce qui nous est donné, à notre vie humaine en tant que sujet.

Dès lors, la problématique soulevée ne traite pas de l’existence en tant que tel, mais de la manière dont on accède à la plénitude de l’existence, ainsi que l’incarne le verbe « profiter », au sens du bonheur. Il est alors interrogé l’existence en tant que finalité, c’est-à-dire, comment l’instant présent devient le moyen à l’être d’exister et de profiter de son existence, quand il profite de l’instant présent.

Ne peut-on exister qu’au travers de l’instant présent, ou bien exister, se fait dans la fusion du temps passé, présent et futur ? Et puis, peut-on dissocier l’existence du temps ? Y a-t-il une collusion entre bonheur et existence ?

Par ces questions, nous verrons tout d’abord que profiter de l’instant présent, c’est exister, mais qu’il ne s’agit que d’une composante, à laquelle s’ajoutera le vecteur du bonheur, dans toutes les dimensions de sa temporalité.

 

I. L'instant présent ; une existence à part entière.

 

Carpe Diem. « Cueille la rose du jour présent sans te soucier du lendemain. » Cette maxime latine, formulée à l’impératif, résume la valeur d’une pense initiée par le poète Horace. Cette pensée entend faire de l’instant présent, la clef de voûte du bonheur. Mais pour quelle raison exactement, et quel est son lien avec l’existence ?

L’existant dépend de l’être, dont il tire origine « sortir de », « naître de ». Notre existence est contingente, par opposition à nécessaire, nous aurions tous pu ne pas être, et quand on conçoit l’idée que ne pas être là, n’aurait rien changé à l’univers, il ressort que nous nous recherchons une essence, ainsi que la philosophie de Sartre nous y invite, et c’est parce que cette quête d’identité ; d’utilité, nous projette en avant de soi que certains pensent que le vrai sens d’exister, se trouve dans l’instant présent.

En effet, il y a une pleine conscience à définir son existence en fonction du présent. On ne rejette rien du réel, on ne fait plus qu’un avec, parce que c’est avant tout la démonstration de notre liberté à rejeter, tant les regrets du passé, que les inquiétudes du futur. Le stress, en faisant partie des premières sources de mal-être du monde contemporain, justifie d’ailleurs cette mesure comme l’acceptation à un moment T, de tout ce que l’on a vécu et ce que l’on veut vivre. C’est, par ailleurs, un accès à une vérité immédiate, parce qu’elle repose sur ce que nous vivons, ce qui nous entoure dans le « maintenant ». L’instant présent est une certitude, alors que le passé ouvre la voie à l’incertitude, tout comme le futur.

 Combien de personnes consultent des horoscopes ou des voyants pour déterminer ce qu’ils ne peuvent contrôler ? L’existence précède l’essence, et Jean-Paul Sartre nous invite à maîtriser notre propre vie pour la façonner comme on le souhaite, et quel acte de souveraineté peut-il être plus fort que celui de briser nos chaînes aux contraintes du temps, pour nous fixer que dans le temps présent ? a fortiori quand l’on sait que la mort, est ce qui donne le sens à la vie. Epicure nous recommande ainsi de mieux apprécier les joies de la vie éphémère, plutôt que de laisser la jeunesse se préparer à « bien » vivre là où la vieillesse se « prépare » à mourir. Les gens, dans l’attente de la mort et l’élaboration de leurs projets, sont toujours aux antipodes de la plénitude de leur existence ; ils vivent dans l’illusion. 

 

Mais alors, peut-on vraiment dire que le réel est le seul acquis de l’instant présent ? Vivre dans l’illusion, selon Epicure, se coupe du fondamental, mais n’y a-t-il pas une philosophie plus saine, censée rentrer en complémentarité avec une approche flexible, du temps, et de l’existence ?

En effet, les animaux vivent dans l’instant présent, mais ils le font parce qu’ils n’ont pas conscience de leur propre fin, à l’inverse des Hommes, et l’urgence de la menace que représente la mort, n’est-elle pas là pour stimuler le vivant tel que le pense Kierkegaard, et nous permettre, par notre conscience, de concevoir le temps comme un allié et non comme un ennemi ?

 

 

II. Relativiser la composante de l'existence. 

 

Il y a une position belliciste dans l’affirmation radicale que pose l’existence, uniquement par le biais de l’instant présent. À croire que profiter d’autre chose que du réel brut, c’est se condamner à une existence illusoire, qui renie et infantilise la capacité de l’Homme à se projeter et à utiliser sa souveraineté intellectuelle pour comprendre de ses erreurs. Par là même, on confond instinct et instant, parce que les animaux utilisent leur instinct pour vivre uniquement dans le présent, et l’Homme n’est pas un animal qui doit se contenter, avec une forme d’hédonisme, de satisfaire ses besoins les plus primitifs sans prendre à bras le corps les difficultés auxquelles il doit faire face, en tant que sujet de droits et « animal » politique.

Par exemple, sachant que le temps, c’est le passé, et aussi, de facto, la mémoire, comment oublier la mémoire ? Que l’on souhaite outrepasser les regrets, c’est possible, en relativisant, mais l’instant présent spolie cette mémoire qui nous perpétue, et qui nous constitue. En suivant les thèses susmentionnées, comme le font beaucoup de gens, nous comprenons pourquoi le cycle de la guerre ne cesse pas, même quand elle atteint des sommets d’horreurs. La Der des Ders, a recommencé vingt ans plus tard avec les 60 millions de morts qu’on lui connaît, et la guerre n’est pas qu’un mauvais souvenir dans la mémoire de l’Homme. C’est parce que nous oublions que nous recommençons, et que nous n’anticipons pas, alors même que nous avons tous les moyens à notre disposition pour ce faire.

Par ailleurs, l’instant présent est le boulevard de l’intempérance qui justifie tous les excès à la manière de Calliclès. Au nom de quoi devrait-on se priver, puisque nous vivons sous un compte-à-rebours auquel l’on ne peut pas échapper ? Le risque devient dès lors inconsidéré et justifie la jouissance effrénée qui fait de l’Homme un être-pour-la-mort, qui au lieu de donner le contrôle de son existence et du temps au sujet, le fait devenir un kamikaze pour lui-même, quand il n’investit pas les responsabilités qui lui incombent. Il y a alors une immaturité du désir, qui s’exprime au travers du verbe « profiter » présent dans le sujet, plaçant un rapport égoïste et égocentrique aux choses parce que l’on s’existe plus que l’on n’existe.

 

Comme un état de fait, ce débat se trompe alors de cible, en posant la question de l’existence, parce que quoi que l’on fasse on existe, c’est alors une autre définition de l’existence qui se pose, et qui est celle de la quête du bonheur. Nous souhaitons vivre mieux, nous cherchons à assurer une stabilité, une pérennité à notre existence, parce que nous sommes une ouverture, une projection en avant de soi tel que le définissait Heidegger, et qui non seulement nous donne toute latitude à orienter notre vie comme on le souhaite, mais à rechercher ce que nous faisons naturellement, c’est la recherche d’un état de paix ; un état de bonheur.

 La question n’est alors pas de savoir ce qu’est qu’exister au sens le plus prosaïque qui soit, mais qu’est-ce qui nous permet de nous sentir exister ? N’est-ce pas là ce qu’entend ceux qui cherchent à « profiter de l’instant présent » ? Le feraient-ils sans raison ?

 

 

III. Exister au sens du bonheur.

 

Nos comportements sont dictés par cette recherche permanente du bonheur. Elle devient le leitmotiv de notre vie, encore plus quand elles mettent le temps avant de s’accomplir. La position eudémoniste, pose alors le bonheur comme finalité à la vie, mais ce qui est finalement le propre de chaque être humain quand il le peut. Améliorer sa condition a toujours été la volonté de l’Homme, consciemment ou non, et ces désirs qui nous font vivre, contribuent à les rationaliser, à les pérenniser pour les former en objectif de vie. Nous prévoyons en vue d’être heureux, par les moyens que nous nous donnons, soit par un projet professionnel, soit par un projet personnel, et c’est par le temps et la densité de nos efforts, qu’exister devient une quête personnelle qui a du sens pour nous.

Alors que quand il n’y a pas de sens à ce que l’on fait, quand l’intempérance nous donne tout, tout de suite, quand le moindre de nos désirs est satisfait, à l’image de personnes qui deviennent riches sans y avoir été préparées, la conséquence ne peut être que la perte de l’espoir, l’atonie du futur, et un remède qui paraissait gommer toutes les défaillances du passé et du futur, devient encore pire que ce qu’il était censé soigner ; à savoir la frustration. Prouvant une nouvelle fois que l’Homme s’oriente en fonction du meilleur modèle de vie à suivre au gré de ses volontés uniques, il définit son essence par ses positions spirituelles, politiques, philosophiques et sociales, dans une multiplicité caractéristique de son identité, faisant corréler existence et essence, toujours dans la droite ligne de la position de Sartre.

Dès lors, le plus grand ennemi du bonheur est l’affairement. L’agitation, les égarements du monde, ne font la recherche que d’une chose ; un divertissement, qui ne fait que s’oublier soi-même ; La raison en est, selon Pascal, le « malheur naturel de notre condition faible et mortelle, et si misérable que rien ne peut nous consoler, lorsque nous y pensons de près. ». Dans sa situation de misère, l’homme s’étourdit de son passé, et plus encore de son avenir supposé, mais ne peut, en réalité, jamais être heureux, et croit trouver en l’instant présent, une solution efficace, pourtant sans régler le problème de fond, qui n’est pas comment lutter contre le temps, mais comment lutter contre soi, parce que c’est avant tout un problème personnel, un rapport au Moi n’étant que la constituante de notre quête existentielle.

 

« Les minutes, mortel folâtre, sont des gangues
Qu'il ne faut pas lâcher sans en extraire l'or ! » L’Horloge, Baudelaire.

 

 

Ainsi, exister, c’est profiter de l’instant présent. Exister, c’est être capable de voir par-delà l’instant présent, afin de retirer le plus utile de notre mémoire, pour nous fixer des objectifs à long-terme, pour avoir un but, autre que celui d’être là, faisant dépasser notre condition de la simple conscience du présent, du temps, pour la faire devenir synthèse de ces éléments auxquels nous pouvons avoir une prise, tant pour définir notre essence que notre quête d’existence.

 Ce pourquoi, exister c’est aussi se trouver, se définir, comme l’on se définit en tant qu’individu, mais non par rapport à une société, mais par rapport à l’ensemble de l’univers, alors même que nous ne sommes que les contingences d’une nature. C’est une question qui est alors plus individuelle, plus intime, alors même qu’elle est publique, par ceux qui voudront dépasser la mortalité, par ceux qui voudront que la mort, ne soit pas qu’un compte-à-rebours, mais l’objet d’une quête, de notre quête, de notre histoire, en tant qu’homme, et de l’Histoire, en tant qu’Homme.

 

Il serait dès lors intéressant d’étudier les différentes corrélations faites avec le bonheur, pour le dégager non seulement comme idéal, mais comme partie intégrante de notre existence, et à ce titre, le détacher du temps pour le voir en tant que notion durable et entière, vis-à-vis de nous, sujet à cette recherche permanente du bonheur.

 

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Commentaires: 2
  • #1

    Philippine (dimanche, 10 décembre 2017 11:04)

    Merci beaucoup pour tout, vraiment ton blog est une perle et chacun de tes mots font prendre consciences de tellement.. Tu es une personne merveilleuse, et je tenais vraiment à te remercier de tout cœur pour chacun des mots que tu as écrits pour les partager. Je te suis reconnaissante de mettre des mots sur ce que je n'avais pas encore forcement réussi à comprendre et à m'avouer. Tu es une perle, et tu aides tellement les gens.. Je suis aussi en classe de Terminal, et je me sent tellement à l'écart et différente des autres, j'ai l'impression que tous les profils de personnes se répètent à travers les années et les classes et que seul le fait que je me sente absolument incomprise persiste à travers les années.. Je souhaiterais parler plus avec toi si tu en as aussi envie, je peux t'envoyer mon mail peut-être pour qu'on puisse commence à échanger de manière plus pratique qu'ici.

    Je te souhaite avant tout une merveilleuse journée.
    Ps. à la fin de la rédaction de ce mot je me suis rendue compte que ce blog datait de 2007, donc tu dois maintenant ne plus trop te souvenir de ton année de terminal depuis longtemps et tu ne dois pas avoir envie de discuter avec une gamine..
    Bref passes une superbe journée

  • #2

    Philippine (dimanche, 10 décembre 2017)

    Ah non, excuses moi ça date d'il y a un an (je me suis confondue avec l'ordre de la date Américaine...)